Faisons ressurgir le passé à l'occasion de l'évocation de la Porte de Mars... Que chacun puisse s'emparer de la décision de racheter ou pas ce monument qui reste exceptionnel dans la romanité, selon Alain Badie, éminent Architecte Archéologue, Ingénieur de Recherche au CNRS d'Aix-en-Provence, qui publie ce texte sur Linkedin, en réaction à l'annonce, dans le quotidien Sud-Ouest, que la ville pourrait ne pas acquérir le monument.
"La Porte de Mars, classée Monument Historique est une des plus emblématiques porte tardo-antiques de Gaulle Romaine dans un état de conservation exceptionnel. Il serait sans doute dommage de rater cette occasion unique de l'intégrer dans le patrimoine public de la ville de Périgueux". Alain Badie, Archéologue CNRS - 26/09/23.
La Porte de Mars est le monument qui, de l'Antiquité au XIXème siècle, reste le point névralgique pour entrer et sortir de la Cité. Elle est le témoin privilégié pour remettre en perspective l'Histoire de Périgueux.
A l'image de beaucoup de villes comme Burdigala ou Lutèce, Vesunna construisit au III et IVème siècle, un rempart pour se protéger en s'enfermant dans une enceinte. Ici, la surface de la Cité est réduite à un peu moins de six hectares (1/10 de la ville originelle) et construite en appui sur les arènes. Remparts dont on voit encore de beaux vestiges près du musée Vesunna et du Lycée Jay de Beaufort, traces antiques qui se lisent encore très bien dans le parcellaire actuel.
Pour construire cette enceinte, les habitants utilisent notamment les pierres déjà taillées des arènes désormais inutilisées et celles des monuments religieux romains abandonnés. Les constructeurs s'y servent comme dans de véritables "carrières".
Des monuments en élévation de cette époque, ils ne restent visibles aujourd'hui que deux éléments importants: la tour de Vésone, grand édifice circulaire qui était le cœur du temple et la Porte de Mars, cachée dans le jardin d'un particulier.
La porte de Mars est située dans le quartier de la cité à l'Est de l'ancienne Cathédrale Saint-Etienne, dans un îlot d'habitations situé entre les rues Emile-Lafon et Emile-Combes. Deux tours en grand appareil sont conservées dans le jardin. Ces tours forment ainsi l'une des portes les plus monumentales de l'enceinte de la ville fortifiée du Bas Empire. Cette enceinte, constituée de courtines et de tours, appuyée sur le bastion de l'amphithéâtre, enfermait, dans une surface réduite à 5.5 hectare, la ville du Bas empire.
L'enceinte du Bas Empire, devient une des rares - sinon la seule - parures monumentales de la ville, tel que l'a démontré Louis Maurin (Remparts et Cités dans le trois provinces du Sud-Ouest de la Gaule du Bas Empire). "La qualité architecturale de la Porte de Mars témoigne bien du caractère prestigieux et honorifique de la nouvelle construction édilitaire. L'ouverture vers la voie de Limoges a été privilégiée aux axes routiers, vers Agen ou vers Saintes et Bordeaux. Cette dernière est pourtant la capitale, à partir de la Tétrarchie de la province d'Aquitaine Seconde dont dépend Périgueux."
Porte d'entrée dans le castrum, jusqu'au XIIème siècle, cette porte fut la plus utilisée de l'enceinte urbaine antique car elle ouvrait, à l'opposé, directement vers les nouveaux quartiers commerciaux et artisanaux du Puy Saint-Front.
Elle fut obturée quand la famille de Périgueux fit construire son château sur l'enceinte gallo-romaine jusqu'à y installer les communs sur la porte, curieux élément (échauguette), encore visible.
Pour la remplacer, une brèche fut ouverte dans la courtine. L'entrée dans le castrum est alors déportée au nord par cette autre ouverture désignée sous le nom de la "porte de la Cité", "porte Itier", "porte de Mossem Itier, ou "porte de Périgueux". (Higounet Nadal médiéviste).
Au Moyen-Age, un mur en moellons ferme donc le passage entre les deux tours en grand appareil masquant, depuis lors, un arc supposé donner sur un passage sous voûte.
Ces maisons fortes, ou châteaux pour les plus grandes, se retrouvaient appuyées ou construites sur les courtines de l'enceinte romaine comme cela existait aussi aux arènes et encore très visible aux abords du Lycée de Jay de Beaufort avec la Maison d'Angoulême et le Château Barrière.
Plus loin le Château de Limeuil, était bâti, lui aussi sur les murs d'enceinte, vers la Porte Romaine. Aujourd'hui tous les deux ont disparu. La porte donnait, elle, vers le sud de la Cité, et nous emmenait rêver vers l'Italie et sa capitale Rome...
La réouverture de l'enquête dans le cadre d'un projet collectif de recherche en 2005 (Michel Moyrand, Maire) à la faveur de l'autorisation des propriétaires, donne l'occasion de porter un nouveau regard sur la façon dont les "antiquaires" perçoivent le monument au cours du XIXème siècle. Le précurseur de l'archéologie périgourdine, Wlgrin de Taillefer jugeait déjà ce monument d'une extrême qualité... Il donne une description détaillée de la maison forte médiévale qui a coiffé la porte et dont le propriétaire "antiquaire" est le sieur Bardon (immeuble actuel en division locative de 10 appartements).
Déjà en 1858, le Congrès archéologique de France a consacré les vestiges antiques de Vésone et a donné à la communauté scientifique, dont le vénérable Arcisse de Caumont, l'occasion de prendre en considération Périgueux comme une des grandes cités au patrimoine enrichi et valorisé. Le Congrès a également permis de mettre en avant de nouveaux défenseurs et érudits régionaux tels, qu'entre autres, Edouard Galy, Conservateur du Musée du Périgord et Félix Verneilh Inspecteur de la Société Française d'Archéologie. La porte de Mars, visitée à cette occasion, avait donné lieu à des commentaires élogieux des congressistes.
S'est imposée dès lors, la nécessité d'acquérir, par la collectivité, ce précieux monument, de le connaître plus en avant par des fouilles complètes et d'en entamer une restauration d'ampleur.
Le centre névralgique de la Cité reste son Eglise Saint-Etienne, la Chapelle Saint-Jean-Baptiste et la Porte de Mars.
La porte de Mars permet l'accès à la Cité épiscopale avec sa première Cathédrale Saint-Etienne de la Cité et son Palais épiscopal incluant la Chapelle Saint-Jean, propriété de la ville, joyau de la renaissance construite sur des bases antiques, ancrée dans l'espace Sainte-Marthe et qui se décline sur deux niveaux.
Périgueux la "Petite Rome" aux sept collines, doit révéler et magnifier ce lieu pour en faire le point incontournable du parcours aquitain de l'histoire Gallo-Romaine, en lien avec Montcarret, Bordeaux, Saintes ...
Aujourd'hui, notre Porte de Mars est dans une propriété privée (cadastre AZ parcelle 331, propriété de la famille P.). D'une hauteur actuelle hors sol de 4,80 m, la porte de Mars est encore enfouie sur plus de la moitié de sa hauteur et demande à être fouillée plus complètement.
De l'avis des spécialistes et archéologues, si elle était acquise, car il ne manque à la ville que cet emblématique monument, la porte tardo-antique, en excellent état de conservation, serait exceptionnelle dans la romanité, une véritable bibliothèque historique par ses strates qui vont de l'antiquité au moyen-âge. Elle mettrait en valeur la richesse de notre patrimoine dans un cheminement très simple pour nos visiteurs, permettant de traverser les lieux et le temps dans cet espace resserré où les monuments sont aussi proches et exceptionnels.
Exit la "fenêtre-meurtrière" de Philippe Dangles, qui par sa position dans le mur du jardin qui clos la porte de Mars, côté rue, ne serait pas en mesure de montrer autre chose que quelques pierres de façade, du fait du positionnement de la porte de profil et du niveau élevé des jardins à l'arrière du mur de la propriété.
Exit le bail emphytéotique, qui avec uniquement un accès dans le jardin, empêcherait une circulation fluide des visiteurs vers le chevet de l'Eglise de la Cité et nous priverait d'un important potentiel de surfaces d'exposition dans la bâtisse qui s'appuie sur le monument.
Des chercheurs (CNRS) et des spécialistes du monde romain sont en alerte sur ce dossier, notamment via les réseaux Linkedin, à l'image des saisies écran ci-dessous et se mobilisent pour diffuser l'information de la vente et de l'acquisition en cours par un investisseur. (Possibilité de double-cliquer pour voir l'image entière)
Une conférence départementale de Hervé Gaillard* à l'initiative du Département de la Dordogne, en 2013, est essentielle à écouter pour celui (ou celle) qui souhaite comprendre l'histoire de ce monument:
*Conférence des Archives Départementales de la Dordogne
Avec Hervé GAILLARD archéologue au Service régional de l'archéologie DRAC Aquitaine
Jeudi 28 novembre 2013
© 2013 Conseil général de la Dordogne
Bibliographie récente de la Porte de Mars
Louis Maurin, Remparts et cités dans les trois provinces du Sud-Ouest de la Gaule au Bas-Empire (dernier quart IIIe siècle-début du Ve siècle), dans Villes et agglomérations urbaines antiques du Sud-Ouest de la Gaule. Histoire et Archéologie, 2e colloque Aquitania, Bordeaux (11-13 septembre1990), (6e supplément à Aquitania), Bordeaux, 1992. Notice Périgueux, p. 365-389, 502 fig.
Claudine Girardy, avec la collaboration d’E. Saliège et d’H. Gaillard, Carte Archéologique de la Gaule 24/2 ; Périgueux. Paris, 2013, 309 pages, 397 figures. Voir Le Rempart p.133 et Porte de Mars p. 155.
Hervé Gaillard, Hélène Mousset (dir.), Collection Atlas Historique des villes de France, Périgueux, 2 vol. Bordeaux, 2018. Tome 2, Sites et Monuments, Porte de Mars p. 42-46.