Après la ville des voitures et des réfrigérateurs permettant de vivre loin de son lieu de travail et de ses lieux d'approvisionnement, quel sera notre futur?
Artificialisation des sols, centres-villes saturés, mobilités… Quels futurs pour les villes, qui attirent toujours plus de populations dans le monde entier ? Projection en 3 scénarios.
Je partage avec vous cet intéressant article prospectif publié par USBEK & RICA, le 4 décembre 2023, sous l'égide du CIC Crédit Industriel et Commercial.
Ce travail prospectif a été conçu à l’aide d’entretiens qu'ont accordés Alain Bertaud, chercheur en urbanisme à l’université de New York et auteur de « Order without Design: How Markets Shape Cities » (The MIT Press, 2018, non traduit), et Xavier Desjardins, consultant au sein de la coopérative Acadie et professeur d’urbanisme et d’aménagement de l’espace au sein de l’UFR de géographie et d’aménagement de la Sorbonne.
Durant la pandémie, alors que de nombreux citadins s’expatriaient en banlieue ou à la campagne pour mieux vivre les confinements à répétition, on s’est demandé si ce désamour pour les villes allait survivre à la pandémie. Il semble que non : les prédictions annoncent une hausse, et non une baisse de la population urbaine dans le monde entier sur les décennies à venir. Des migrations qui s’accompagnent d’un étalement des zones périurbaines, alors que les centres-villes surpeuplés deviennent toujours plus onéreux.
Mais la transition énergétique implique aussi de lutter contre l’artificialisation des sols et les migrations pendulaires, ce qui entre a priori en contradiction avec l’étalement continu des périphéries urbaines. Comment cette problématique pourrait-elle se résoudre ? Peut-on combiner exode rural et neutralité carbone ? Quel avenir pour les zones périurbaines dans un monde décarboné et respectueux de l’environnement ? Comment les entrepreneurs de la ville de demain pourront s’y insérer ?
Voici trois scénarios fictifs situés à l’horizon 2050 pour le découvrir.
L’expansion des quartiers pavillonnaire a été endiguée et les zones périurbaines ressemblent davantage aux centre-ville, avec des immeubles et des commerces de quartier
Scénario 1 : la ville économe
Ce premier scénario concerne les villes qui, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ont fait le choix d’un aménagement du territoire prenant le contre-pied de l’étalement périurbain. Ce modèle est né dans l’après-guerre et a été permis par l’essor de la voiture individuelle et du réfrigérateur, qui ont rendu possible le fait de vivre à la fois loin de son lieu de travail et des lieux d’alimentation. Mais à l’ère du dérèglement climatique, il devenait de plus en plus difficile à soutenir.
Si les périphéries urbaines n’ont naturellement pas disparu, leur rôle, leur logique de croissance et la façon dont on s’y déplace ont été repensés. Concernant les transports, d’abord, secteur le plus émetteur en CO2, des sommes importantes ont été investies pour améliorer l’offre de transports en commun reliant les zones périurbaines et les centres-villes.
Dans les lieux où mettre en place des lignes régulières était impraticable, des dispositifs de navettes autonomes, qui adaptent leur parcours en fonction des besoins du moment, ont été mis en place. Enfin, des aides à la mobilité ont été adoptées pour aider les plus défavorisés ne pouvant se passer d’une voiture à acquérir un véhicule électrique.
Des aides à l’achat d’un vélo électrique ont également permis à de nombreux habitants des zones périurbaines de miser sur ce moyen de transport pour se rendre au travail, soit de manière exclusive, soit de façon multimodale, en le combinant avec les transports en commun. Cet aspect multimodal est d’ailleurs devenu l’une des clefs de voûte du système de transport urbain. L’accent est mis sur les synergies entre les différents modes de déplacement, individuels et collectifs, motorisés ou non, afin de satisfaire le maximum de personnes avec des moyens donnés et d’accroître la résilience du système en compensant les perturbations en temps réel.
Concernant l’habitat, l’expansion des quartiers pavillonnaire a été endiguée et les zones périurbaines ressemblent davantage aux centres-ville, avec des immeubles et des commerces de quartier. Pour éviter une hausse des prix du logement qui aurait chassé les classes sociales les moins favorisées toujours plus loin, de nombreuses villes ont acheté les terrains, conservé la propriété du sol et vendu uniquement le bâti.
Des mécanismes ont également été mis en place pour limiter les plus-values à la revente. Le foncier comptant entre 30 et 60% dans le prix d’un logement, ce mécanisme permet d’aller vers des espaces périurbains plus denses, s’approchant de l’idéal de la ville du quart d’heure, sans rendre les coûts insupportables pour toute une partie de la population. On ne parle ainsi plus de banlieues dortoirs, mais de vrais espaces de vie en commun.
Scénario 2 : des métropoles toujours plus importantes… mais pas plus massives pour autant
Dans ce second scénario, l’importance des villes dans la vie de tous les jours s’est encore accrue. Pour autant, ça ne signifie pas que davantage de personnes y vivent. Un paradoxe qui n’est qu’apparent. En effet, l’efficacité croissante des moyens de transport désormais largement décarbonés, et l’essor de ressources informatiques comme le cloud, la 7G et la réalité virtuelle permettent à une large part de la population de vivre à la campagne sans avoir de problèmes pour trouver un emploi.
Pour autant, les villes demeurent les lieux où s’invente l’innovation et où se trouvent les ressources et infrastructures informatiques permettant le travail à distance. Elles continuent donc de jouer un rôle clef dans la vie économique, quoique de manière immatérielle. En outre, s’il n’est plus nécessaire de se rendre en ville tous les jours, on continue d’y aller régulièrement pour des rencontres professionnelles ou pour des activités de socialisation. La ville est ainsi devenue un lieu de rencontre, où l’on se rend par plaisir plutôt que par obligation. On y compte beaucoup moins de bureaux qu’avant, mais les immeubles professionnels situés à proximité des gares sont particulièrement prisés. Les lieux de rencontre et de divertissement se sont en outre multipliés.
La dichotomie villes/campagnes est ainsi plus marquée qu’aujourd’hui et rappelle le monde d’avant la Seconde Guerre mondiale
Dans un tel contexte, le périurbain tel qu’on le connaît aujourd’hui n’existe plus vraiment. Une partie des anciennes banlieues ont été avalées par les centres-villes, reconverties en espaces dynamiques où se mêlent infrastructures de travail et de loisir. D’autres ont été rendues à la nature, transformées en parcs, en réserves naturelles ou en petits villages. La dichotomie villes/campagnes est ainsi plus marquée qu’aujourd’hui et rappelle le monde d’avant la Seconde Guerre mondiale. Les migrations pendulaires se sont également considérablement réduites, les habitants de la campagne se rendant en moyenne en ville une ou deux fois par semaine maximum.
Scénario 3 : l’ère du gigantisme urbain
Ce troisième et dernier scénario concerne particulièrement les plus grandes métropoles, en particulier celles des pays d’Asie et d’Afrique. En 2050, sept humains sur dix vivent en ville, et nombre de métropoles comptent plus de dix millions d’habitants. Certaines d’entre elles ont en outre connu une hausse spectaculaire de leur population au cours des dernières années, portée à la fois par la croissance démographique des locaux et par l’afflux de réfugiés climatiques, qui se font toujours plus nombreux à mesure que le climat se réchauffe.
Piloter des espaces urbains d’une telle envergure et soumis à une telle pression démographique pose naturellement son lot de défis. Le fait de gérer les déplacements quotidiens de plusieurs millions de personnes implique une étroite coordination, permise par les applications de mobilité, entre les moyens de transport lourds, comme le train, et ceux qui permettent de parcourir les derniers kilomètres, du vélo au scooter en passant par la trottinette électrique.
Concernant ces derniers, il n’y a pas de solution unique, et chaque ville bricole avec la culture locale : certaines métropoles plus modernes et avancées technologiquement ont déployé des taxis autonomes, électriques et partagés. D’autres recourent massivement aux scooters, aux tuk-tuks et aux petites motos électriques.
Dans tous les cas, lorsqu’on parle de métropoles de cette taille, la frontière entre urbain et périurbain devient floue et malléable. De telles villes croissent de manière organique, en fonction des besoins du moment plutôt que pour répondre aux desseins des architectes et planificateurs urbains. Quartiers résidentiels improvisés et centres économiques dynamiques se côtoient, sans toujours suivre une logique centre/périphérie. Ces zones résidentielles sont souvent assez peu denses, ce qui représente un défi en matière de transport, mais permet parfois aussi aux habitants de posséder quelques animaux et un petit lopin de terre pour cultiver leur propre nourriture.
La gestion de la grille énergétique est un défi au moins aussi conséquent que celui des transports. Cependant, les solutions ne manquent pas. Des dispositifs de panneaux solaires à bas coût et faciles à installer permettent ainsi aux habitants de facilement générer leur propre électricité pour répondre aux besoins primaires. Dans les zones périurbaines à faible densité, ceux-ci sont souvent complétés par de petites éoliennes individuelles.
On voit donc à travers ces différents scénarios qu’il n’y a pas un, mais des futurs possibles pour les villes, qui dépendront de la géographie, des choix effectués en matière d’urbanisme, mais aussi d’un certain nombre d’évolutions naturelles qui échappent à la planification politique.
Tous ces avenirs envisageables seront toutefois marqués par un équilibre à trouver, notamment pour les entrepreneurs de la ville de demain, entre la protection de l’environnement et la satisfaction des besoins des citoyens.