Vitalité, croissance, santé, résistance, résilience, services... toutes qualités qui lui sont demandées.
Les arbres urbains nous font de l’ombre, nous rafraîchissent l’été et captent le carbone, mais ils sont en grande partie menacés par le changement climatique.
La renaturation fait parfois l’objet de débats passionnés. Il y a désormais une volonté politique assez forte pour regagner du terrain sur les surfaces imperméabilisées, ce qu’on peut évidemment saluer. Or Il apparait nécessaire de remettre certaines choses en perspective : la plantation d'un arbre ne doit pas devenir un acte politique ou un slogan !
Certains projets sont réalisés pour des raisons d’image ou pour faire du chiffre en nombre d’arbres plantés, mais présentent peu d’intérêt agronomique.
Dans une stratégie de végétalisation, mieux vaut planter moins mais mieux. Le risque de planter à tout va, en recherchant des résultats immédiats, est de ne pas pouvoir assurer les frais d’entretien et d’arrosage, de voir dépérir les arbres peu résilients face aux événements climatiques extrêmes, et ainsi de gâcher de l’argent public.
La végétalisation de l’espace public est évidemment un prérequis pour lutter contre le changement climatique.
Les arbres en ville seront de plus en plus précieux : pour stocker le carbone, pour capter certains polluants ainsi que les eaux de pluie (infiltration et rétention), pour réaliser des îlots de fraicheur, pour ralentir les eaux de ruissellement, pour épurer l’air, pour favoriser l’évapotranspiration, pour leur ombrage, pour la séquestration de CO2, pour leur esthétique, pour leur rôle de réservoir des biodiversités…Et en termes de régulation thermique, des études ont montré que les espaces verts pouvaient faire baisser la température d’une rue ou d’un parc de 1°C à 5°C. Mais en parallèle, l’augmentation des aléas climatiques, notamment les sécheresses, font peser un risque majeur sur ces arbres situés en zones urbaines.
En septembre 2022, une équipe de chercheurs de différentes nationalités, comprenant un scientifique du CNRS, a publié une première étude dans la prestigieuse revue Nature Climate Change sur le risque encouru par les arbres plantés en milieu urbain vis-à-vis du réchauffement climatique : comment, plus de 3 000 espèces d'arbres plantés dans 164 villes du monde pouvaient s’adapter au changement climatique. Et comme il fallait s’y attendre, les résultats de cette étude sont préoccupants.
Les scientifiques estiment ainsi qu’entre 56% et 65% des espèces d’arbres en milieu urbain à travers le monde sont déjà en situation de risque vis-à-vis du climat. D’ici 2050, ce risque pourrait affecter entre 68% et 76% des arbres.
Or, les villes ont désespérément besoin de la nature pour lutter contre les effets des aléas climatiques extrêmes. L’arbre joue un rôle capital dans la régulation climatique des villes. En effet, sans lui, nos infrastructures urbaines, qui sont de nature minérale, se changent en véritables "fours".
En France, les chercheurs ont étudié le cas de Paris, Bordeaux, Montpellier, Grenoble et Lyon. Globalement, dans ces cinq villes, deux espèces d’arbres sur trois risquent de souffrir de la chaleur ou sécheresse en 2050, si elles ne sont pas régulièrement arrosées et entretenu par les municipalités. La moitié des espèces sont d’ailleurs déjà fragilisées par le changement climatique en France. On trouve notamment parmi elles : les hêtres, les frênes, certains chênes, les tilleuls, ou les marronniers.
C’est pour cela que les chercheurs recommandent de planter dès à présent des espèces plus adaptées. Comment choisir entre des essences provenant des Balkans, adaptées à la chaleur et au froid d’hiver plus rigoureux et des essences méditerranéennes particulièrement résistantes au stress hydrique ?
Si on prend par exemple le cas de Paris, il faudrait planter davantage de chênes méditerranéens comme le chêne kermès ou le chêne liège. Les oliviers seront aussi adaptés au climat de la capitale en 2050…
L’un des enjeux clés de la végétalisation des villes, sera l’arrosage public de plus en plus contraint dans les prochaines années.
Il faut donc miser sur des essences qui sont plus tolérantes à la chaleur et qui sont moins gourmandes en eau. Il existe des outils pour cela, comme celui du Cerema, par exemple Il a lancé l’outil « Sésame » (Services Eco Systémiques rendus par les Arbres, Modulés selon l’Essence), qui répertorie 85 espèces d’arbres et d’arbustes ainsi que leurs contraintes respectives et leur capacité à s’adapter localement au changement climatique.
Les collectivités locales doivent travailler dès aujourd’hui sur des infrastructures permettant de capter les eaux pluviales en ville et de les réutiliser.
C’est par exemple ce que propose l’entreprise Vertuo, qui développe des systèmes pour permettre d’optimiser l’arrosage en ville. L’une des solutions consiste à installer un système de récupération des eaux de surface le long des espaces de circulation (pistes cyclables ou trottoirs) afin d’y récupérer l’eau de pluie pour alimenter les végétaux à proximité. C’est aussi, une autre startup française, Urbasense, qui propose une solution plus technologique basée sur des capteurs qui mesurent en temps réel les besoins hydriques des végétaux afin d’optimiser l’arrosage avec une économie d’eau annoncée de l’ordre de 30% à 70% sur l’arrosage municipal.
Comment faire pour arroser 1 000 arbres en même temps ? Etant donné qu’un jardinier peut arroser environ 40 arbres par jour, les services espaces verts ne sont pas suffisamment dotés pour assurer un arrosage d’une telle ampleur dans le peu de temps imparti !
La gestion de l’arrosage des 3 premières années est cruciale. Plus l’arbre est gros plus il est en stress. Un petit arbre aux racines nues rattrape en 5 ans la taille des gros arbres, car il s’habitue beaucoup plus vite aux conditions locales.
Mais politiquement un petit arbre fin de 1 mètre de haut sera moins attrayant à court terme, alors qu’un gros arbre fournira tout de suite plus d’esthétique et d’ombrage.
Témoin et conséquence de cette souffrance, une épaisse couche de feuilles mortes jonche souvent, bien avant l’automne, certaines rues et jardins publics.
Et de façon moins visible, ce stress provoque chez les végétaux des réactions biologiques… qui contribueraient à détériorer la qualité de l’air ! «Comme pour les humains, la ville est un environnement très stressant pour les arbres !», lance Francis Martin, directeur de recherche à l’Inrae et auteur du livre "Les arbres aussi font la guerre" (Éditions humen Sciences), le manque de place pour sa charpente de branches, les contraintes sur ses racines (manque de place, coupures lors de travaux de sous-sol…), la pollution atmosphérique, le manque d’eau …
Selon, Yannick Poyat, agronome spécialisé dans l’étude des sols urbains qui a réalisé une thèse sur la question de l’intégration de la question du sol en aménagement urbain:
“il faut cesser les politiques du chiffre, quitte à replanter moins mais mieux”.
Il faut cesser de planter des arbres qui ont plus de vingt ans.
ll faut cesser de planter des arbres qui ont été transplantés à de nombreuses reprises en pépinières. Certains disent même qu’il faut arrêter de planter des arbres en motte, car ils ne résisteraient pas aux phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes. Au-delà d’un diamètre de racine d’environ 2cm, le fait de la sectionner désorganise complètement l’architecture racinaire, ce qui réduit d’autant plus la capacité des arbres à pouvoir reprendre.
Souvent on peut comprendre les oppositions aux demandes d’abattage d’arbres âgés ou malades, mais ce qui apparait d’autant plus contestable est la promesse de « compensation ».
On serait idéalement tous favorables à la replantation massive d’arbres. La végétalisation est une solution prioritaire pour maximiser la résilience urbaine, mais cela ne justifie pas d’abattre 3 arbres majeurs pour en replanter 10. Il faudra attendre des dizaines d’années pour que ces 10 arbres fournissent le même niveau de « service » que les arbres abattus.
La régénération des sols urbains est aussi importante que d’excaver un sol sur un mètre pour planter un arbre. La terre végétale provenant de sols agricoles est une ressource finie. Dans la quasi-totalité des cas c’est de la terre décapée, stockée, et revendue. Il conviendrait plutôt de comprendre comment régénérer les sols en n’important quasiment rien. C’est l’exemple le projet Siterre, en Suisse, qui est parvenu à identifier des substituts possibles à la terre végétale parmi les matériaux issus de l’activité et de la déconstruction des villes (déchets verts, béton concassé, balayages de rues …) sans changement constaté du développement arboré !
De plus, il faut penser la fosse de plantation en dehors du mètre carré initial, en fonction de ce qu’il y a autour, afin d’anticiper l’adaptation de l’arbre au bout d’environ 5 ans. Les arbres d’alignement font typiquement face à de mauvaises conditions, plantés le long des routes, dans des fosses unitaires, entourées de réseaux… Ils font ainsi l’objet de remplacements très fréquents. Il faut donc repenser le volume d’exploration racinaire en ville, et ne pas juste le restreindre aux zones de pleine terre. Même un trottoir doit pouvoir être pensé pour accueillir des racines.